Aujourd’hui, je devais me rendre chez un Nami pour lui emprunter une asymptote qu’il avait mise toute une semaine à dresser. J’avais entendu dire que sa maison était spéciale, j’y allai donc de bon cœur. Sur la route, je tentais d’imaginer ce qui m’attendait. Mais, une fois arrivé devant la maison, ou, du moins, là où elle était censée se trouver, je compris que je manquais cruellement de fantaisie.
Face à moi, s’étendait une cours intérieure, au fond de laquelle le pas de la porte sans porte était resté à sa place, mais je sentais bien en lui une folle envie d’aller rejoindre les murs, ce qui pouvait expliquer les petits sauts qu’il effectuait inlassablement sur lui-même, comme un Nenfant impatient.
Les murs, eux, avaient quitté leurs lits et couraient dans la cour comme piqués par une mouche. Ils tournaient à une vitesse folle mais, par chance ou talent, aucun n’entrait en collision avec les autres. Les pauvres cadres, étagères, pots de fleurs, ainsi que tout ce qui pouvait s’accrocher à un mur, tiraient une langue dont la couleur variait, et avaient peine à suivre ces chorégraphies folkloriques.
Parfois, un mur se jetait à plat ventre, et glissait sur le sol, ce qui provoquait un grand nuage de poussière. Certains, suite à une chute, se brisaient, ce qui avait pour effet de donner naissance à de nouveaux petits murets, qui suivaient alors à leur tour le mouvement en se mettant à gambader avec leurs Zaînés.
Les arbres de la haie, accompagnés d’outils – sécateur, cisailles, pelles – avaient entamé une danse de la pluie autour d’un juron, lui-même peu convaincu de l’utilité de le manœuvre. J’en étais bouche bée, j’avais l’impression que mes yeux étaient sortis de l’orbite et mon esprit avait perdu pied. Mais d’autres surprises m’attendaient : dans un coin du jardin, écarté de la ronde, les mauvaises herbes s’étaient rassemblées et organisaient tant bien que mal un débat sur les méfaits de l’exode rural des vers de terre.
A côté de moi, sur ma droite, gisait le seul buisson qui visiblement était bien décidé à ne pas aller rejoindre ses camarades. Derrière lui, se dissimulait maladroitement l’escalier menant au premier et d’ailleurs dernier étage, la commode du salon, le lavabo de la deuxième salle de bain, la placard à chaussures du hall d’entrée, et le lustre. Tous ces éléments affichaient un petit rictus mesquin ; ils étaient en train d’asperger les rideaux, la baie vitrée, la terrasse, les matelas et le réfrigérateur, de personnifications gluantes récupérées dans le gosier du sèche-cheveux qui s’était littéralement vidé les tripes, quelques murs plus loin.
Tout l’électroménager semblait terrifié par la folie furieuse qui animait chaque objet de la maison, et avait fui la scène en essayant de se cacher sous le tapis, qui se débattait énergiquement, ne se laissant pas faire.
Dans tout ce Strafulgar, je réussis à distinguer, malgré les petites gouttelettes que produisaient les cascades des murs, mon Nami. Une baignoire sur la tête et le pommeau de douche dans une main, une passoire dans l’autre, en plein rodéo sur la table de la salle à manger qu’il chevauchait comme un damné. Cette dernière était particulièrement agitée et poursuivait avec acharnement les chaises, le tabouret et le canapé.
Halluciné par cette série de scènes invraisemblables, je restais planté dans l’entrée en me demandant si je devais fuir illico cette maison dont je ne comprenais guère les mécanismes, ou bien me jeter à plat ventre par terre en attendant les secours, sage comme un poêle en été.
Je décidai finalement de trouver un moyen de locomotion pour parvenir jusqu’à la sortie, tout en évitant de me faire percuter par un mur plus enthousiaste.
Tout à coup, j’observai que la danse murale ralentissait, les plantes retournaient à leurs emplacements respectifs, les jets de personnification cessaient et le rodéo de mon Nami allait s’essouffler dans la maison. Les effets étaient visibles : l’électroménager commençait à sortir lentement de dessous le tapis et se dirigeait résigné vers sa place en reprenant des couleurs et des formes plus connues.
Petit bémol : je me trouvais à présent sur le pas de la porte, auquel manquait toujours la porte, ce qui était problématique puisque je ne pouvais toquer nulle part.
Je me retournai, cherchant l’absente du regard, quand apparut au loin un interrupteur très haut sur pattes qui se dirigeait à une vitesse X dans ma direction Y. Il n’était plus qu’à quelques mètres de moi quand il s’arrêta net comme s’il avait vu l’électricien. Il s’assit à côté de la porte qui n’était toujours pas là. Il me dévisageait, un poil déprimé. Il y avait un message gravé sur sa tête : « Appuyez sur le bouton pour appeler la porte ».
Je suivis la suggestion et pâte à crêpes : Mon Nami ouvrit la porte, un sourire à la main.
texte et illustration : Brice Liaud
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